Jérôme Meizoz
Fr, 15.05.15, 13:00
Fr, 15.05.15, 17:00
Sa, 16.05.15, 12:00
Sa, 16.05.15, 17:00
Sa, 04.06.11, 14:00
Extrait de: Gestes de mon frère, inédit
Depuis que je fais le secrétaire du gros consul français, dans la bâtisse noyée de feuillages sur la frange de collines qui domine la ville il m'est donné de voir bien des choses de la vie. Le consul est élégant. Des Noirs le servent respectueusement, et lui, il sert la France.
Tous les matins que Dieu fait, je traverse le parc public. C'est là que travaille «mon frère».
Depuis cing ans que je lobserve en toute discrétion.
Il ne se doute de rien, parfois même me traverse la fugace pensée que je n'existe pas à ses yeux. Il ne semble pas avoir reçu en partage un haut niveau de conscience, mon frère.
En janvier, sachez-le, il taille les pommiers. Cela dure des semaines, et il est du genre lent, mon frère. En mars il soigne les primeveres, en avril les tulipes, en mai les jacinthes dont le parfum me ferait parfois défaillir. En juillet, impassible sous le gros soleil, il taille le gazon, mon frère, en septembre arrache les bulbes, en novembre recouvre le sol de branches de sapin.
Il sourit souvent mon frère, dans le vent, à rien, surtout pas à moi, il n'a toujours pas remarqué mon manège. De loin, je reconnais son grand pas lent, rythme, il imprime sa marque à se jardin terré au coeur de la ville frémissante de commerces.
Je ne lui connais pas de maître, mon frère, de patron, de chef ou tout autre personnage apte à remplir un tel rôle.
Il est toujours là, seul absolument, actif et cependant vide de pensées, pour le seul plaisir des habitants de la ville qui traversent furtivement le jardin.
Il y a encore des îlots, des lieux écartés, donc qui ont échappé à ce monde.