Bettina Stepczynski

2010

Déjeuner sur l'herbe

von Bettina Stepczynski

L’autre jour, mon pote Greg m’a montré un truc pas possible : une carte postale avec un dessin ringard dessus, dans le genre de ceux que la maîtresse nous montre sur son calendrier où il y a une tonne de dessins ou de peintures de gens qui ont vécu il y a des années en arrière et dont je ne me souviens jamais du nom. J’ai dit à Greg que je n’aimais pas les conneries de la préhistoire mais il a insisté et m’a demandé de mieux regarder. J’ai regardé et, ensuite, Greg et moi, on s’est marrés. Vraiment marrés ! En fait, sur l’image, il y avait deux gars barbus, en costumes sombres, assis sur l’herbe. Et, tranquille, assise à leurs côtés, il y avait une nana à poil. Et, derrière eux, pas très loin, il y avait une autre nana, dans une rivière, à moitié à poil aussi. J’ai dit à Greg que c’était un sacré vicelard celui qui avait dessiné ce tableau. Greg m’a dit que je n’y comprenais rien, que c’était de l’art. Il m’a dit que le tableau s’intitulait déjeuner sur l’herbe. Il m’a montré les fruits et le pain qui se trouvaient en bas à gauche de l’image. Je n’ai plus rien dit parce que s’il y en a un qui s’y connaît un peu en tout, c’est bien Greg.

Greg, je le connais depuis tout petit. Il habite dans la même barre d’immeuble HLM que moi, mais à l’autre bout. Il a exactement le même appartement d’angle que moi, au troisième étage, mais de l’autre côté et tout y est à l’envers, dans l’autre sens. Chez lui, ils sont cinq. Chez moi, nous sommes huit (mon grand-père, ma grand-mère, mon oncle, ma tante, mon père, ma mère et ma petite sœur). Quand je vais chez lui, ça cause bien. D’ailleurs, Greg quand il est avec moi, il utilise exprès des mots pas trop difficiles pour qu’on se comprenne. Il dit toujours,

- toi t’es les biscotos, moi je suis le cerveau !

C’est vrai que lui, au niveau des muscles, il n’en a pas trop. Il est plutôt tout grand, tout mince et tout pâle.

Greg m’a remontré l’image et il m’a dit :

- tu sais ce qu’ils font ces mecs ?

Je n’en avais aucune idée.

- Un pique-nique !

Et il a ajouté qu’il voulait faire le même, exactement pareil : avec des trucs à bouffer, une nana à poil et la rivière. On s’est dit qu’une nana suffirait parce que de toute manière celle dans le ruisseau, elle n’était pas vraiment à poil sur le dessin.

Il a de ces idées Greg. Je me demande d’où il les sort. Et puis, il m’a dit que si on faisait tout ça, le but final, c’était de prendre une photo parce que ça c’était de l’art et que, peut-être, grâce à cette photo, on deviendrait riche un jour. Il m’a dit qu’un gars aux Etats-Unis vendait des cadavres de vaches coupées en deux pour des millions et que ce gars, grâce à ses charognes, eh bien, il était devenu milliardaire. Il sait plein de choses Greg.

Pour la nana à poil, on a tout de suite pensé à ma tante. Elle est beaucoup plus jeune que ma mère et elle est trop cool. Elle dort dans la même chambre que ma petite sœur et, chaque soir, elle lui raconte une histoire. Moi, je dors avec mon oncle, le petit frère de mon père et, lui par contre, il ne me raconte jamais rien. Il est affalé sur son lit avec un casque sur les oreilles à longueur de journée et il m’écrase les doigts dès que je bouge un lego au-delà de mon côté de la chambre. Il a mis un scotch de carrossier sur le sol pour bien délimiter son espace et le mien.

Ma tante, quand je lui ai demandé si elle était d’accord pour le pique-nique et tout le bazar, elle a rigolé. Elle m’a dit que Greg et moi on formait une drôle de paire et qu’on était vraiment strange. Elle a dit ça avec un super accent anglais. Ensuite, elle a tiré sur sa clope. Elle était accoudée au balcon, en nuisette, et je me disais qu’elle était sacrément bien gaulée ma tante avec son cul et ses seins ronds. Elle a balancé son mégot sur le parking et elle m’a dit que c’était ok pour elle, qu’elle jouerait le jeu.

Ensuite, il a fallu qu’on repère un coin sympa près d’une rivière. Un truc sauvage, à l’abri des regards. Ça nous a pris un temps fou pour trouver l’endroit idéal parce qu’en bas de chez nous, il y a bien un ruisseau, mais tout le monde y promène son clébard ou y fait son footing. Mais Greg et moi, on a pas lâché le morceau, on a longé le ruisseau même quand il n’y avait plus de sentier. On s’est retrouvés dans pleins de jardins et on s’est planqués derrière une tapée de buissons. Finalement, on a atterri dans un jardin énorme qui avait l’air abandonné. Il y avait une maison, mais les volets étaient plus ou moins fermés. On avait trouvé l’endroit idéal.

Et puis Greg m’a dit qu’il s’occuperait de la bouffe. J’aurais de toute manière pas pu le faire à sa place parce que chez nous, c’était ramadan. À la maison, tout le monde puait de la gueule, sauf ma sœur et moi, trop petits pour faire le jeûne et, question nourriture, fallait pas venir emmerder qui que ce soit.

On a fixé le jour et l’heure.

Samedi, onze heures, on s’est retrouvés tous les trois sur le parking de l’immeuble. Ma tante était en tongs, minijupe en jeans et maillot blanc. Je me suis dit en la regardant que cela n’allait pas être de la tarte pour passer par-dessus les barrières des jardins. Greg m’a montré discrètement le portable de sa mère avec l’appareil photo intégré. C’est vrai que j’avais tout expliqué à ma tante sauf l’histoire de la photo. Je ne voulais pas l’embêter avec l’histoire de l’œuvre d’art de Greg.

Il faisait super beau. Greg et moi, on s’était habillés plutôt chic et on avait mis nos casquettes pour faire un peu comme les gars de la carte postale. Ensuite, ma tante a mis ses lunettes de soleil en forme de cœur sur le nez et nous a lancé :

- c’est par où le gars ?

On lui a montré le chemin. On l’a aidée à escalader les grillages et on est arrivés sans trop de mal dans le jardin abandonné. Greg m’a quand même dit, lorsque ma tante marchait devant nous, qu’il faudrait qu’elle enlève ses lunettes pour la photo.

Et, comme sur le dessin, on s’est installés à l’ombre, sous des arbres. Greg a sorti de son eastpak des fruits, une tresse et une bouteille d’eau. Bref, exactement les mêmes trucs que sur la peinture d’Ed Manu. J’ai compris Manu, mais ça devait être autre chose, parce que Manu ça ne sonne pas préhistorique. Ma tante, elle a dit qu’il était barge Greg. En fait, j’étais déçu. Je pensais qu’il allait apporter un paquet de chips, des bonbons et du coca.

Ensuite, ma tante nous a demandé s’il fallait qu’elle se mette à poil tout de suite. J’étais gêné, alors je lui ai tendu des cerises.

- T’es con ou quoi ! Je fais ramadan !

Je lui ai dit que les deux trois bricoles de Greg n’allaient certainement pas la tuer. De toute façon, il ne fallait pas qu’elle me la fasse, je savais que le jeûne, elle ne le faisait qu’à la maison. Et puis, ses cigarettes, elle les fumait sur le balcon, devant toute la famille, ramadan ou pas ! Et tout le monde lui faisait des remarques, surtout ma grand-mère, mais elle s’en foutait. Elle estimait déjà faire suffisamment d’efforts en ne mangeant rien à la maison.

Elle mangea deux cerises et cracha les noyaux. Greg sortit de sa poche la carte postale. Il montra à ma tante que toute la nourriture était déposée sur les vêtements de la femme nue. Il voulait faire la même chose. Il voulait qu’elle se déshabille et qu’il dépose le pique-nique sur ses vêtements.

- Ok, je me désaque.

Greg n’osait plus la regarder, il fixait la carte postale qu’il tenait entre ses mains. Ma tante se déshabilla, puis, elle s’assit nue devant nous.

Putain de merde ce qu’elle était belle. Je regardai mon pote, mais il ne me voyait plus. Il avait fini par lever les yeux sur elle et je crois que ses seins l’hypnotisaient. Moi aussi d’ailleurs. On était comme des cons, la bouche entrouverte devant les seins ronds et bombés de ma tante. Je n’avais qu’une envie, approcher mes mains de son corps. Je voulais la palper, la goûter.

Ma tante faisait comme si de rien n’était. Elle parlait, gesticulait, mangeait les fruits et le pain. Greg et moi on la buvait du regard et on en devenait ivres.

Elle nous fit goûter les abricots. Ils étaient mûrs et sucrés. Du jus coulait sur le coin de nos lèvres. On n’avait pas pris de mouchoirs alors elle nous essuya avec ses doigts.

Puis elle se leva et se rhabilla.

- J’ai d’autres trucs à faire les cocos. Mais, c’était cool !

Elle escalada le grillage, sans notre aide, et s’en alla.

On était sonnés.

On a terminé le pique-nique, seuls. Mais on la voyait encore à poil devant nous. On pensait à elle.

Lorsqu’un volet s’ouvrit et que quelqu’un gueula, je compris qu’il fallait tout de même qu’on foute le camp. Greg était encore à l’ouest. Je dus le secouer pour qu’il me suive.

Arrivé sur le parking de notre immeuble, Greg remarqua qu’il avait totalement oublié de prendre une photo. Je l’engueulai en lui disant qu’on n’en avait rien à foutre de sa foutue photo que désormais, quand il mangerait des fruits, il en aurait une bien plus belle de photo dans son crâne: le souvenir d’une femme nue. Qu’est-ce qu’il voulait de plus ? Il marmonna deux trois trucs sur Edouard Manu et son tableau puis me lança :

- Ta tante, elle vaut des millions. Il faudrait l’exposer à poil derrière une sorte d’aquarium vitré, enfin un truc dans le genre, on deviendrait millionnaires. Elle est trop belle !

Je lui ai dit qu’il était vraiment trop con avec ses idées à la noix. On s’est marrés. Et puis, je suis vite rentré, je n’avais qu’une idée en tête : bouffer des abricots.