Juan Martinez
La tombée de la nuit, lettre à un ami arabe
1991
Aus: Juan Martinez. La tombée de la nuit, lettre à un ami arabe. 1991
La première nuit au désert. Le froid qui s'installe dès la disparition du soleil. La stupéfaction qui m'avait saisi au coeur de cette nuit verticale. Hôte des sables, hôte d'une banquise brûlante où se reflétaient les feux des constellations suspendues au-dessus de nos têtes. L'appel est venu du désert. La source du cri est Sahara: le désert. Sentir ce désert se dérouler en soi, sentir les sables avancer, centimètre après centimètre, et recouvrir la fausse luxu riance des apparences. Sentir les myriades de grains former une lave épaisse, une lave calcinant toute illusion de verdure sur son passage. Coulant des oreilles, du nez, comme le sable infini d'un sablier invisible, mince fleuve surgi de l'intérieur du corps, incessante chute sableuse, polissant et abrasant ces montagnes d'images qui prolifèrent dans nos têtes. Désert aux couteaux plus tranchants que la faux primitive.
Aujourd'hui encore, fermant les yeux, j'entends dans la régularité de mon souffle le chant grave et joyeux du désert. J'en tends les grésillements du silence nocturne. Seul avec soi, seul avec rien. Rien espace vrai. Sans arbres, sans fleurs, sans maisons, sans hommes, sans échappatoire. Le ciel, la terre et une approximation d'un homme.,qui ne sait plus, ne comprend pas, a oublié son nom. Son histoire et sa langue. Un homme qui pour un instant non mesurable échappe à l'Histoire. Au temps à l'espace et au mouvement.
Sa, 22.05.93, 22:00
La Maison-Dieu
1990