Monique Tornay
Maur l`incomparable frère
Editions Zoé, 2000
Aus: Monique Tornay. Maur l`incomparable frère. Editions Zoé, 2000
A dix pas de l’atelier, Frère Maur disposait d’un hangar indépendant, la réserve, où il gardait tous ses bois de travail. Du mélèze d’Autriche pour les linteaux et seuils des chambres canoniales. Du pin d’Orégon pour lamer les mansardes. Du chêne de Normandie pour renforcer les tabourets liturgiques, les miséricordes des stalles. Du sapin de Roumanie pour des plafonds décrétés historiques. Du noyer des Alpes pour réhabiliter tables ou bahuts anciens dans un parloir, dans le réfectoire. De la surbille de noyer pour des membres incurvés de chaises, des dossiers galbés. Du merisier pour reprendre la corniche d’armoires à veine claire. Du frêne pour refournir en manches le frère ou l’employé jardiniers. Du poirier pour dépanner à la cuisine lorsq’un tranchoir se fendait. De la racine de citronnier, de l’olivier cédés parfois à un confrère projetant de sculpter une statue, un chandelier. De l’épicéa pour tout usage de petite et grande envergure, le commun de la forêt locale. Un aggloméré dit bois compact pour renflouer le dos d’une étagère. De l’arole pour les devants de tiroirs des sacristies. Un peu de cèdre, de santal pour le parfum de quelque délicate retouche. Réserve, à elle seule forêt et verger d’essences mélangées, pleine d’oiseaux, de senteurs et de fruits, de climats, de chute et repousse des feuilles, de neige gelée sur les aiguilles figées. Profonde les jours de pluie, capiteuse les jours de chaleur, entre les piles se respirait la vie persistante de l’arbre débité. Les variétés de bois tendres et bois durs défilaient en leurs virtualités, prenaient déjà figure de pièces usinées aux dimensions, formes et teintes diverses.