Claire Genoux
Ses pieds nus
Bernard Campiche Editeur, 2006
Aus: Claire Genoux. Ses pieds nus. Bernard Campiche Editeur, 2006
La porte que l’employé a ouverte devant moi donne sur des escaliers aussi raides qu’une échelle. Je les gravis en tenant fort une main courante. Quand j’arrive là-haut dans la timonerie, tout est sombre. Cela dure plusieurs minutes. Puis j’aperçois sa silhouette, de dos, se découpant sur le fond de la vitre et quelques boutons qui clignotent. Il n’a pas encore de présence physique. Je le regarde, puis je regarde l’eau en contrebas, puis la tache lumineuse que fait la fête sous les arbres un peu plus loin. On a claqué la porte ou peut-être que j’imagine ce bruit, pour me sentir moins seule. Nous ne parlons pas. Je regarde encore par la vitre entièrement lavée par l’obscurité. Les nuits d’août sont un classique parmi les nuits d’été. Il reste immobile, assis sur le tabouret devant le tableau des commandes. Je comprends que, moi non plus, je ne dois pas bouger. Puis il sort sur la passerelle et compte les passagers qui descendent du bateau et se dispersent au gré de la musique sur le quai. C’est comme si j’avais toujours su que je me retrouverais là, un soir, d’avance sans aucune force, les mains le long du corps, un minuscule sac de dame accroché au bout de mes doigts. Mon corps pèse comme un poids mort sous la blouse en jeans, sous le pantalon d’été et dans les escarpins trop grands que j’aime faire claquer sur le goudron en marchant, quand il fait beau par dessus la ville et que les avenues sont sèches.